Marcus Miller, Lenny White, Biréli Lagrène, le regretté Michel Petrucciani et l'immense Kenny Garrett. Quoi de plus prometteur sur une pochette? Ce n'est pas la chronique d'un nouveau disque que vous allez lire mais simplement un retour sur un des plus grands concerts de ces 50 dernières années. Tout d'abord exposons le contexte: Le label Dreyfus organise, le 7 juillet 1994, une soirée de concerts pour son troisième anniversaire et à cette occasion réuni autour de Michel Petrucciani, qui officie comme maître de cérémonie, les artistes du label, Français et Américains (Richard Galliano, accordéoniste hors pair, le saxophoniste Steve
Grossman, Roy Haynes, un des maîtres absolus de la batterie, le
guitariste virtuose Biréli Lagrène, le Mingus Big Band, le
talentueux bassiste Marcus Miller, Kenny Garrett ou encore Lenny White). Francis Dreyfus avait dans l'idée de faire jouer ces musiciens soit avec leur orchestre respectif ou les uns avec les autres restituant ainsi le véritable esprit des jam sessions dans lesquelles les musiciens sont en réelle interaction. Seul vestige des six heures de musique qui ont animé cette nuit au Palais des Sports de Paris, ce disque présente trois morceaux durant chacun d'entre eux en moyenne entre 15 et 18 minutes. Ces musiciens n'avaient jamais joué ensemble à l'exception de Michel Petrucciani avec Lenny White et de Marcus Miller avec Kenny Garrett et se sont réunis à la demande de Francis Dreyfus et ont réalisé un concert improvisé autour de deux compositions de Marcus Miller: "Tutu" et "The King Is Gone", et d'une composition de Michel Petrucciani appelée "Looking Up".
Certes comparé à la quantité de musique jouée cette nuit là ces quelques trois quart d'heure nous paraissent dérisoires mais cet enregistrement est d'une telle qualité que l'on s'en contente aisément. D'une part le son est excellent un excellent mastering de la part de René Ameline. D'autre part à l'écoute de ce disque on se rend compte de l'immense talent de chacun de ces musiciens. Tout le long de l'enregistrement l'âme de Michel Petrucciani plane au dessus de nos oreilles et nous rappelle à quel point il était un virtuose et un musicien qui savait être à l'écoute des autres (il nous quittera cinq ans plus tard laissant bon nombre de fans et de musiciens en peine). On se demande pourquoi cette formation n'a pas vu le jour plus tôt elle qui aurait pu écrire une page merveilleuse dans l'histoire de cette musique. Au cours des solos les notes ne font pas que fuser sans sens précis, elles nous racontent une histoire. Dès "Tutu", qui n'a jamais été aussi bien joué, on observe une progression dans les solos, ils évoluent ils montent puis redescendent en puissance nous font voyager. Une fois de plus ce qui marque c'est cette cohésion entre les musiciens, ils se complètent parfaitement chacun apporte quelque chose à l'autre soit par son accompagnement pendant un solo soit simplement par cette chose indéfinissable qu'ils diffuses. Ce morceau qu'avait composé Marcus Miller pour Miles Davis est un excellent canal pour véhiculer la puissance des musiciens et la forme est parfaite pour les solos. On a l'impression à la fin du morceau que les 16:30 minutes sont passées bien trop vite et cette impression ne va pas nous lâcher tout au long du disque, c'est peut-être une autre preuve de la qualité du concert.
A l'écoute du deuxième morceau, l'autre composition de Marcus Miller, "The King Is Gone" on peut entendre que Marcus Miller joue superbement bien de la clarinette basse, l'instrument avec lequel il a commencé la musique, et on entend également son talent de compositeur avec un thème magnifique, lent et doux et qui prend toute son ampleur lors des solos de Kenny Garrett et Biréli Lagrène. Et l'album se clôture avec une bossa nova écrite par Michel Petrucciani avec des sonorités qui lui sont propres. Un solo remarquable de la part de Marcus Miller qui prouve que le jeu en slap utilisé habituellement dans le funk et les musiques groove peut être, s'il est joué finement, appliqué à bien d'autres styles.
Cet album nous laisse un sentiment étrange: d'un côté une euphorie transmise par tant de musicalité et de talent et par des morceaux et des improvisations de très très haut niveau, et d'un autre côté une sentiment de regret, le regret de ne pas avoir pu être au Palais des Sports de Paris le 7 juillet 1994 et de n'avoir pu écouter tous ces artistes présents ce soir là jouer leur musique et s'exprimer. Un album à avoir absolument dans sa discothèque, peut être un des live les plus mythiques enregistrés dans la deuxième moitié du XXème siècle.
Malheureusement on ne peut l'écouter ni sur Deezer ni même sur Spotify, on peut en revanche écouter le titre de Michel Petrucciani "Looking Up" sur Youtube en allant sur les liens suivant: http://www.youtube.com/watch?v=eMV3X8rczmQ (Pt 1) et http://www.youtube.com/watch?v=SnlcP_rgRhM (Pt 2). On peut également le trouver à acheter en ligne pour moins de dix euros.
Dreyfus Night In Paris (Dreyfus Jazz), Michel Petrucciani, Biréli Lagrène, Lenny White, Kenny Garrett.
Text by E. Renard
Photos by Sophie Le Roux